La Cour de justice consacre le droit au silence de la personne physique poursuivie
7 June 2021
Procédure pénale
Procédure administrative
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La Cour de justice consacre le droit au silence de la personne physique poursuivie

La Cour de Justice était saisie sur renvoi préjudiciel de la Cour Constitutionnelle italienne qui l’interrogeait sur la possibilité des Etats membres mettant en œuvre le régime relatif aux abus de marchés de ne pas sanctionner une personne physique qui refuserait de fournir à l’autorité administrative compétente des réponses susceptibles de l’incriminer.

En l’espèce, la commission nationale des sociétés et de la bourse (la Consob) avait infligé à DB deux sanctions pécuniaires pour une infraction administrative de délit d’initié. En outre, elle lui avait infligé une troisième sanction pécuniaire de 50.000 eur pour, après avoir demandé le report à plusieurs reprises de la date de l’audition à laquelle il avait été convoqué en sa qualité de personne informée des faits, avoir refusé de répondre aux questions qui lui avaient été adressées quand il s’était présenté à cette audition.

Cette sanction était fondée sur base de l’article 187 quindecies du texte unique des dispositions en matière d’intermédiation financière transposant l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2003/6/CE du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) aujourd’hui remplacé par l’article 30, paragraphe 1, sous b) du règlement (UE) n°596/2014 du 16 avril 2014 sur les abus de marché.

DB avait formé opposition contre ces sanctions devant la Cour d’appel de Rome qui l’avait rejetée. Il avait formé un pourvoi en Cassation. La Haute Cour avait adressé à la Cour Constitutionnelle deux questions incidentes de constitutionnalité. Seule la première question est pertinente dans le contexte du renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l’UE.

L’enjeu était de savoir si l’obligation de coopération dans le cadre d’une enquête est conforme ou non au droit au silence de la personne poursuivie ainsi qu’au droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, tels qu’ils sont consacrés notamment aux articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacrent notamment le droit à voir sa cause entendue équitablement et la présomption d’innocence.

La Cour rappelle d’abord qu’elle se fonde non seulement sur les deux textes précités mais aussi sur l’article 6 § 3 de la Convention européenne fondant le droit au procès équitable. Les droits fondamentaux reconnus par le CEDH « font (en effet) partie du droit de l’Union en tant que principes généraux ».

La protection du droit au silence vise à assurer que, dans une affaire pénale, l’accusation fonde son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou la pression, au mépris de la volonté de l’accusé. Ce droit est violé notamment dans la situation d’un suspect qui, menacé de subir des sanctions s’il ne témoigne pas, soit témoigne, soit est puni pour avoir refusé de le faire.

Ce droit a vocation à s’appliquer dans le contexte des procédures susceptibles d’aboutir à l’infliction de sanctions administratives revêtant un caractère pénal. Trois critères sont pertinents pour apprécier ledit caractère :

  • la qualification juridique de l’infraction en droit interne,
  • la nature même de l’infraction,
  • le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé.

Ceci relève de l’appréciation de la juridiction de renvoi.

La Cour relève aussi que, si même les sanctions infligées en l’espèce par l’autorité de surveillance en cause à DB ne devaient pas présenter de caractère pénal, la nécessité de respecter le droit au silence pourrait également résulter de la circonstance relevée par la juridiction de renvoi que, conformément à la législation nationale, les éléments de preuve obtenus dans le cadre de cette procédure étaient susceptibles d’être utilisés, dans le cadre d’une procédure pénale menée à l’encontre de cette même personne, pour établir la commission d’une infraction pénale.

La Cour considère que le droit au silence d’une personne physique accusée consacrée par les articles 47 et 48 de la Charte, s’oppose à ce que cette personne soit sanctionnée pour son refus de fournir à l’autorité compétente des réponses qui pourraient faire ressortir sa responsabilité pour une infraction possible de sanctions administratives à caractère pénal ou sa responsabilité pénale.

Elle conclut aussi que les articles 14, paragraphe 3 de la directive 2003/6 et 30, paragraphe 1, sous b) du règlement n°596/2014 ne contiennent pas d’obligation faite aux Etats membres de sanctionner le refus d’une personne physique de fournir à l’autorité compétente des réponses dont pourrait ressortir sa responsabilité pour une infraction possible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale dans le cadre du régime relatif aux abus de marché. Ces dispositions de droit dérivé de l’Union sont conformes au droit primaire consacré par les articles 47 et 48 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

La Cour conclut en disant pour droit que l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), et l’article 30, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) n°596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6 et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission, lus à la lumière des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent aux Etats membres de ne pas sanctionner une personne physique qui, dans le cadre d’une enquête menée à son égard par l’autorité compétente au titre de cette directive ou de ce règlement, refuse de fournir à celle-ci des réponses susceptibles de faire ressortir sa responsabilité pour une infraction passible de sanctions administratives présentant un caractère pénal ou sa responsabilité pénale.

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