Blanchiment : la circulaire de la BNB du 8 juin 2021
26 November 2021
Droit pénal des affaires
Procédure pénale
Procédure administrative
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Blanchiment : la circulaire de la BNB du 8 juin 2021

1. Ces dernières années, les lois anti-blanchiment ont considérablement renforcé la collecte d’informations que les établissements financiers doivent effectuer auprès de leurs clients[1]. Il est attendu que ces établissements exercent une surveillance à l’égard de leurs opérations financières afin de détecter les opérations atypiques[2]. Le premier chapitre du titre 3 de la loi du 18 septembre 2017 (« la loi » ci-après) est d’ailleurs intitulé « Obligations générales de vigilance ». En cas de soupçons, de motifs raisonnables de soupçonner ou de cas avéré de blanchiment d’argent provenant, entre autres, d’opérations atypiques, l’établissement financier doit dénoncer les faits à la CTIF[3].

Dans ce contexte, la Banque Nationale de Belgique (« la Banque » ou « BNB » ci-après) a récemment publié une nouvelle circulaire[4] (ci-après « la circulaire ») Celle-ci clarifie les attentes de la BNB en matière de vigilance, obligation imposée par la législation anti-blanchiment aux entités assujetties, notamment pour les fonds détenus par les institutions financières suite au rapatriement de fonds de l'étranger, et ce notamment lorsqu’une procédure de régularisation fiscale a eu lieu (Déclaration libératoire unique ou DLU ci-après)[5]. Toutefois, elle invite également les établissements financiers à procéder, via un audit interne, à une évaluation des procédures internes relatives aux obligations de vigilance concernant le rapatriement de fonds de l’étranger, ainsi que du respect de ces procédures ; cette évaluation devrait s’appuyer sur un examen d’un échantillon de dossiers de rapatriements de fonds de l’étranger (passés) qui ont été acceptés par l’institution et dont les capitaux se trouvent encore au sein de l’établissement[6], et ce même si ces capitaux étaient prescrits au niveau fiscal et ne pouvaient ainsi être régularisés via une ancienne DLU[7]. Ceci a donné lieu à l’expression « look back » et a suscité de nombreux questionnements au vu de l’impact que cette interprétation de la loi a sur la sécurité juridique[8]. L’examen par l’audit interne s’opérera sur base de la réglementation en vigueur à l’époque de l’acceptation des fonds. Il ne sera pas exigé que « l’origine des fonds soit prouvée en bonne et due forme mais qu’une personne raisonnable puisse être convaincue de la licéité de l’origine des fonds et que, si possible, celle-ci soit corroborée par des documents, le tout proportionnellement, au risque de blanchiment ».

2. Dans le cadre de l’obligation de vigilance précitée, l’établissement financier est généralement susceptible d’engager sa responsabilité civile de deux façons[9].

Premièrement, sa responsabilité peut être établie par le client de l’établissement, soupçonné à tort de procéder à du blanchiment. En vertu de l’article 57 de la loi, la responsabilité ne peut toutefois pas être établie si l’établissement a, de bonne foi, dénoncé son client. Autrement dit, cet article consacre un régime protectif à l’égard du whistleblower, à condition que sa bonne foi soit établie lors de la dénonciation de soupçon opérée à la CTIF[10]. La jurisprudence et la doctrine belges enseignent que l’appréciation du soupçon est subjective[11]. La charge de la preuve repose sur le client en ce que la bonne foi est présumée[12].

Deuxièmement, sa responsabilité peut résulter d’un manquement au devoir de vigilance. L’établissement qui n’aurait pas dénoncé un client suspect pourrait voir sa responsabilité civile engagée par un tiers, victime d’une fraude, bien qu’il ne sera pas évident pour ce tiers d’établir le lien causal entre la faute de l’établissement et ses dommages. L’établissement pourrait évidemment également faire face à des sanctions administratives.

Ainsi, il peut arriver qu’un établissement soit dans une situation particulièrement délicate. Une dénonciation trop « légère » engagerait sa responsabilité à l’égard du client mais une certaine passivité pourrait tout aussi bien lui être reprochée. L’entité est ainsi assujettie à des normes contradictoires dont il convient de trouver le bon équilibre. Ce phénomène d’incertitude est encore exacerbé au vu du caractère flou de certaines notions de la loi[13]. Pour ne rien arranger, la jurisprudence est relativement incertaine en la matière. A ce jour, plusieurs décisions portant sur la responsabilité d’un établissement ayant dénoncé un client ont été rendues[14]. En l’absence de critères objectifs, les solutions retenues fluctuent en fonction de l’appréciation du juge[15]. Ceci ne participe pas à renforcer la sécurité juridique[16].

3. Au vu de ce qui précède, il est légitime de questionner l’éventuelle incidence de la circulaire sur la responsabilité de l’établissement financier qui procède ou non à une déclaration de soupçon à la CTIF. Sur ce point, la circulaire se limite à renvoyer à l’exposé des motifs de la loi du 18 septembre 2017 (et à d’autres sources qui n’apportent aucune plus-value)[17].

En premier lieu, nous analyserons si l’application de la circulaire par les établissements financiers serait susceptible de porter atteinte à leur bonne foi (ci-après n°4) ? Cette bonne foi est requise dans le cadre de leur obligation de dénonciation à la CTIF comme nous l’avons évoqué. Autrement dit, le client pourrait-il remettre en cause la bonne foi de l’établissement qui dénoncerait (fautivement) des situations déjà réglées par une ancienne DLU ?

Deuxièmement, l’établissement qui ne se conformerait pas aux recommandations de « look back » de la BNB, relatives à un rapatriement de fonds ayant fait l’objet d’une DLU, pourrait-il voir sa responsabilité engagée administrativement ou judiciairement (ci-après n°5) ?

Enfin, nous nous poserons la question de savoir si un recours en annulation est envisageable contre cette circulaire (ci-après n°6).

L’APPLICATION DE LA CIRCULAIRE EST-ELLE SUCEPTIBLE DE PORTER ATTEINTE A LA BONNE FOI DES ETABLISSEMENTS FINANCIERS ?

4. Concernant la première question, il convient d’abord d’examiner si la circulaire fournit des éléments qui permettraient à l’établissement de ne pas engager sa responsabilité en raison d’une dénonciation tardive portant sur des fonds rapatriés de l’étranger ayant déjà été régularisés via une ancienne procédure DLU. Formulée autrement, cette dénonciation de soupçon « tardive » satisferait-elle à l’exigence de dénonciation effectuée de bonne foi ?

Des éléments sont évoqués par la circulaire afin d’évaluer ce risque (montant des opérations, pays d’origine des capitaux concernés, connaissance de l’établissement financier sur le client et sur son patrimoine, connaissance sur la donation ou sur l’héritage, caractéristiques du client…)[18]. Il est précisé qu’une approche fondée sur les risques qui se baserait uniquement sur un des facteurs énoncés n’est pas suffisante et adéquate. Si ces éléments justificatifs ne peuvent être fournis par le client, l’établissement doit effectuer une déclaration à la CTIF. Comme mentionné supra, dans le cadre de cette obligation de « look back », il suffit qu’une personne raisonnable puisse être convaincue de la licéité de l’origine des fonds (et que, si possible, celle-ci soit corroborée par des documents, proportionnellement au risque de blanchiment) pour ne pas devoir effectuer de dénonciation. La preuve formelle de l’origine licite des fonds n’est pas nécessaire.

Respecter ces recommandations permettrait, selon la BNB, de se conformer à son obligation de vigilance.

Pour rappel, la circulaire invite les établissements financiers à évaluer, au cas où l’examen de leur audit interne révèle des manquements significatifs, si les soupçons de fraude fiscale grave pouvaient être écartés à l’égard de fonds rapatriés par la passé. Dans l’hypothèse énoncée, ces fonds ont été régularisés d’un point de vue fiscal via une DLU, à l’exception des capitaux prescrits, selon les cas. Les deux premières DLU n’offraient pas la possibilité de régulariser des capitaux prescrits. Via la troisième DLU, cette option était disponible mais restait facultative. La loi fiscale en question, qui variait donc selon l’époque, accordait une immunité fiscale et pénale à ces capitaux en cas de régularisation des revenus non-prescrits[19], à l’exception des revenus régularisés découlant d’une infraction de blanchiment ne consistant pas exclusivement en une infraction fiscale, un abus de biens sociaux ou un abus de confiance selon la loi[20]. La circulaire enjoint les entités assujetties à s’assurer qu’elles ont bien, par le passé, collecté les informations pertinentes et procédé à leur analyse. Or, les travaux préparatoires de la procédure DLUbis insinuent clairement que l’immunité couvrait également les capitaux prescrits. Dès lors, poursuivre ces dossiers postérieurement à la régularisation opérée, alors qu’il n’était pas toujours possible de régulariser ces capitaux (voy. DLU et DLUbis), et que ceux-ci étaient couverts par l’amnistie fiscale et pénale accordée, semble à la fois contraire au principe de confiance légitime[21] et de sécurité juridique. La circulaire précise « qu’elle n’interprète pas le droit fiscal ou pénal mais s’en tient à l’application de la loi anti-blanchiment ». Au vu de son interprétation des DLUs, il est permis d’avoir quelques doutes.

Malgré une régularisation fiscale, il existe ainsi un risque de divulgation à la CTIF et de poursuites ultérieures éventuelles menées par le ministère public.

Bien que restant muette sur ce point, la circulaire comporte un effet rétroactif. Il est aujourd’hui établi que, sauf exception admise, la non-rétroactivité d’une loi pénale défavorable est un principe général de droit[22]. La loi ne peut s’appliquer à des comportements antérieurs à son entrée en vigueur. L’ancien Code civil comporte une disposition similaire à ce principe. Son article premier stipule que : « la loi ne dispose que pour l'avenir : elle n'a point d'effet rétroactif ». Ceci participe à la sécurité juridique des justiciables.

La question de l’obligation d’introduire une DLUquater après une DLU, DLUbis ou DLUter suscitait un raisonnement similaire. Certains ont souligné “qu’aucune disposition légale ne prévoyait la possibilité de régulariser des successions prescrites ou des revenus prescrits. D’ailleurs il n’était prévu aucun taux, et pour cause, qui aurait pu être applicable alors que le prélèvement dû était fonction de l’impôt. En dépit d’un texte clair, l’ISI de Gand et le parquet de Gand considèrent que l’immunité pénale et fiscale ne porte que sur les revenus qui ont effectivement été régularisés et non sur les capitaux qui n’ont pas été régularisés. Cela implique que des poursuites pourraient être engagées à l’encontre d’un contribuable qui a pourtant procédé à une DLU mais jugée trop peu onéreuse. Or, pareille attitude est tout simplement contraire aux principes qui doivent régir pareil type de procédure, à savoir la sécurité juridique. Le trouble actuel ne devrait pas être toléré par l’État[23].

De plus, l’infraction de blanchiment suppose un élément moral. L’intention de déguiser ou dissimuler l’origine des avoirs est requise. Est-il possible de considérer que cette intention était toujours présente dans le chef des contribuables ayant recouru à une DLU et dont la situation fiscale est depuis lors irréprochable?[24]

Dans la mesure où c’est la responsabilité civile de l’établissement financier qui serait mise en cause, c’est au juge civil qu’il reviendrait de se prononcer sur la question de l’exécution de bonne foi de la dénonciation par l’entité assujettie dans les circonstances évoquées. Il s’agit d’une appréciation casuistique. Au vu des éléments évoqués, et de la jurisprudence instable quant à la présomption de bonne foi[25], il est difficile de conclure avec certitude que la bonne foi de l’entité serait ou non établie.

La faute s’apprécierait comme l’acte ou l’abstention d’agir que n’aurait pas commise le « bonus pater familiae », c’est-à-dire l’homme normalement prudent et diligent.

Si la banque était (à l’époque) confrontée à des indices de blanchiment, l’homme prudent et diligent dénoncerait-il des capitaux rapatriés de l’étranger ayant fait l’objet d’une régularisation fiscale (antérieure à la DLU quater) ? Si la banque, à l’heure actuelle, lors d’un nouvel examen, n’est plus convaincue de la licéité de l’origine des fonds, elle est censée « décider si la documentation disponible permet de convaincre une personne raisonnable que l’opération ne suscite pas de soupçons de blanchiment de capitaux » ?

Selon la circulaire, deux fois oui. Selon les principes de bonne administration, deux fois non.

L’ETABLISSEMENT FINANCIER QUI NE RESPECTERAIT PAS LA CIRCULAIRE VERRAIT-IL SA RESPONSABILITE ENGAGEE ?

5. Il revient dans un premier temps de déterminer la force obligatoire d’une circulaire de la Banque nationale de Belgique. Les banques étant des entités privées, doivent-elles obligatoirement se conformer à une interprétation législative de la BNB ? Habituellement, une circulaire lie les fonctionnaires à qui elle est destinée. Le raisonnement opéré par un auteur pour les circulaires de la CBFA (aujourd’hui devenu la FSMA) pourrait être applicable par analogie à la BNB.

Certains estiment que la question de la force obligatoire d’une circulaire doit être distinguée de celle du Code de conduite, dans la mesure où les établissements de crédit n’adhèrent pas expressément à ces circulaires. Dès lors, il n’en résulte pas un engagement par manifestation unilatérale de volonté. En revanche, les tribunaux pourraient favorablement considérer qu’un manquement aux recommandations d’une circulaire constitue un manquement au devoir général de prudence, et ainsi une faute extracontractuelle[26].

De plus, les termes employés par la circulaire ne sont pas contraignants (« l’audit interne auquel les établissements financiers sont invités […] ) ». La circulaire précise d’ailleurs qu’il s’agit des attentes de la Banque nationale de Belgique relatives à la vigilance requise par la loi à l’égard des rapatriements de fonds depuis l’étranger.

De ce point de vue, l‘interprétation qui est faite de la loi par l’autorité de contrôle ne semble pas contraignante pour l’entité assujettie, du moins d’un point de vue judiciaire. Le principe est plutôt « comply or explain ».

Les dispositions légales sèment toutefois le doute sur la question.

L’article 85 de la loi porte sur les autorités de contrôle. La Banque nationale de Belgique y est énoncée et il y est précisé qu’elle exerce notamment le contrôle du respect du titre 2 de la loi, des arrêtés pris en exécution et du Règlement européen relatif aux transferts de fonds à l’égard des entités assujetties visées à l'article 5, § 1er, 4° à 10°.

L’article 86 dispose à son paragraphe 1 que : « Les autorités de contrôle ou le cas échéant, les autorités désignées par des autres lois, peuvent prendre des règlements applicables aux entités assujetties relevant de leur compétence et complétant sur des points d'ordre technique les dispositions du livre II et III et des arrêtés pris pour son exécution, des mesures d’exécution de la directive 2015/849 en tenant compte de l'évaluation nationale des risques visés à l'article 68[27]. Le cas échéant, les règlements visés à l'alinéa 1er ne sortissent leurs effets qu'après leur approbation par le Roi (…) ». Le paragraphe 2 dispose que « En fonction de leur appréciation des besoins en vue d'une application effective des dispositions visées à l'article 85, § 1er, les autorités de contrôle : 1° adressent aux entités assujetties des circulaires, recommandations ou autres formes de communication visant à clarifier la portée des obligations qui découlent, pour ces entités, des dispositions précitées (…) ».

A la lecture de ces dispositions, la BNB est en mesure de préciser les obligations qui pèsent sur les entités assujetties en vertu du titre 2 de la loi et des arrêtés pris en exécution. Les circulaires seraient obligatoires en ce que leur non-respect pourrait entrainer une violation d’une disposition légale dont elle exerce le contrôle.

En l’espèce, il y a toutefois lieu de s’interroger. En exigeant des établissements financiers de procéder au « look back » de fonds qui ont été régularisés au moyen d’une DLU, dans l’hypothèse où l’audit interne constate des manquements significatifs, l’interprétation de la loi par la Banque ne reviendrait-elle pas à une interprétation contra legem ?

En partant du principe que ces circulaires sont obligatoires, leurs violations pourraient, entre autres[28], activer les articles 132 à 135 relatifs aux amendes administratives que peut imposer la BNB à l’égard des entités assujetties qui manquent à leurs obligations dont elle assure le contrôle. La commission des sanctions est chargée d’infliger les amendes administratives dans le cadre des activités de contrôle confiées à la BNB[29]. Ainsi, l’établissement financier qui ne se respecterait pas son obligation de vigilance à l’égard du dossier ayant fait l’objet d’une ancienne DLU pourrait manquer, selon la Banque, à son devoir de vigilance tel qu’elle l’interprète. De ce fait, il commettrait une infraction à la loi et pourrait se voir infliger une amende.

L’amende infligée par le comité des sanctions pourrait être contestée devant la Cour des marchés, saisie sur recours[30].

En dehors des sanctions administratives, des sanctions civiles ne sont également pas à exclure en cas de défaut de déclaration de soupçon à la CTIF suite à des opérations qui devaient éveiller le soupçon de l’entité assujettie. Il reviendrait cependant au juge saisi de décider si ce défaut de déclaration serait constitutif d’une faute dans le chef de l’établissement financier. Au vu des développements qui précèdent, il est douteux qu’un juge suive l’interprétation de la BNB consistant à refuser de conférer l’immunité civile et pénale d’une ancienne DLU aux capitaux prescrits. En l’absence de jurisprudence sur la question, aucune réponse définitive ne peut cependant être apportée.

En vertu de la loi, des sanctions pénales peuvent être prononcées contre ceux qui font obstacle aux inspections et vérifications des autorités de contrôle auxquelles ils sont tenus, dans le pays ou à l’étranger, ou qui refusent de donner des renseignements qu’ils sont tenus de fournir ou fournissent des renseignements incomplets ou inexacts sciemment[31]. Le non-respect de la circulaire par un établissement financier ne consiste pas à s’opposer ou dresser tel obstacle aux autorités de contrôle. L’adoption de sanctions pénales sur ce motif devrait être écartée.

Le tiers à l’infraction sous-jacente de blanchiment peut cependant, sous certaines conditions, être inquiété sur base de l’article 505 du C. pén. Afin de rapatrier des capitaux non déclarés détenus sur des comptes étrangers, cet article prévoit que, concernant les avantages, biens et valeurs qui sont le produit d’une fraude fiscale simple, ce tiers ne sera punissable pour blanchiment que dans les cas visés à l’article 505, 3°[32]. Le tiers est ainsi uniquement punissable, concernant les autres comportements visés par l’article 505, lorsqu’ils concernent des avantages étant les produits d’une fraude fiscale grave[33].

UN RECOURS EN ANNULATION CONTRE LA CIRCULAIRE EST-IL ENVISAGEABLE ?

6. Afin de résoudre préventivement les deux questions précédentes, une autre possibilité consisterait à introduire un recours en annulation de la circulaire précitée. Le Conseil d’Etat est compétent pour se prononcer sur les recours en annulation d’actes d’autorités administratives[34]. La BNB est une autorité administrative[35]. Concernant l’acte attaqué, diverses conditions - relatives à la recevabilité du recours - doivent être respectées pour qu’il soit fait droit à l’annulation de l’acte. Sans rentrer dans les détails, nous préciserons simplement que « pour que le recours en annulation d'une circulaire soit recevable, il faut [notamment] que cette circulaire ait un caractère réglementaire et qu'elle cause grief au requérant[36]». Il doit s’agir d’un acte administratif exécutoire[37], c’est-à-dire que la décision contestée produise, par elle-même, des effets de droit qui font immédiatement grief au requérant. Or, les circulaires sont réputées comme ne causant pas de grief à moins de « constituer de véritables décisions exécutoires, qui rajoutent à la réglementation en vigueur »[38]. Par exemple, il a été jugé qu’une circulaire rappelant certaines dispositions législatives et expliquant aux autorités communales la manière de l’interpréter ne faisait pas grief[39].

La circulaire ne semble pas se borner à interpréter la loi, elle va au-delà en instaurant une nouvelle règle. Il n’est pas exclu de penser que son interprétation puisse être contra-legem comme exposé supra en ce qu’elle exige de procéder rétroactivement au contrôle de rapatriements de fonds étrangers de capitaux prescrits, dont les revenus ont fait l’objet d’une ancienne DLU. Concernant le grief, cette nouvelle règle causerait notamment un grief financier considérable aux établissements financiers en leur imposant de réexaminer des anciens dossiers.

Nous pensons qu’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat qui serait introduit par une entité assujettie à la loi du 18 septembre 2017 serait recevable. Mais comme on le sait, les recours en annulation doivent être introduits dans un délai relativement court de soixante jours après la publication, la notification ou la prise de connaissance de la décision. Courageux aura été l’établissement financier qui aura osé s’opposer à son régulateur.

Si le délai légal venait à expirer, l’article 159 de la Constitution permettrait de pallier l’illégalité présumée de la circulaire. En vertu de cet article, les cours et tribunaux ne peuvent appliquer un acte administratif illégal[40]. Autrement, les juridictions ne peuvent appliquer cet acte[41]. Ce contrôle est large en ce qu’il n’est limité ni aux irrégularités manifestes, ni dans le temps[42]. Les tribunaux saisis pour un manquement présumé d’un établissement financier à son devoir de vigilance sur base de la circulaire analysée pourrait en recourir à l’article 159 de la Constitution.

7. En conclusion, la circulaire soulève de nombreuses questions de par la position controversée qu’elle adopte à l’égard des fonds rapatriés de l’étranger, suite à une ancienne DLU, portant sur des capitaux prescrits[43]. Dans la continuité de la DLUquater, cette circulaire accentue encore la pression sur les contribuables afin qu’ils procèdent à une régularisation des fonds importés de l’étranger, qu’il s’agisse de capitaux prescrits ou non. Relevons également que la charge de la preuve de l’origine licite des avoirs revient au contribuable dans le cadre de cette DLUquater. En droit pénal, il revient par contre au parquet de prouver, sur la base d’éléments de fait que toute origine licite peut être exclue[44], et ce selon le principe de présomption d’innocence. Ce renversement de la charge de la preuve pose également question.

[1] Voy. notamment la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l'utilisation des espèces, M.B., 6 octobre 2017, art. 26, 27 et 34.

[2] N. COLIN et A. HUBLET, « La prévention du blanchiment de capitaux à la rencontre des autres domaines du droit (responsabilité civile, privacy, devoirs de discrétion professionnelle) », Les avocats et le blanchiment : actualités, enjeux et perspectives, O. Creplet et al. (dir.), 1ère éd., Bruxelles, Larcier, 2018, p. 152 : Ces obligations en matière de blanchiment imposent au banquier une obligation de contrôle sur les activités et opérations de ses clients. Ces obligations se rapportent à son devoir de vigilance, contenu explicitement aux articles 19 à 44 de la loi du 18 septembre 2017, et s’opposent manifestement à son principe de non-ingérence.

[3] Loi du 18 septembre 2017 précitée, art. 45 et 47.

[4] Circulaire du 8 juin 2021 de la Banque nationale de Belgique intitulée “Les devoirs de vigilance à l’égard des rapatriements de fonds depuis l’étranger et la prise en compte des procédures de régularisation fiscale pour l’application de la loi anti-blanchiment ». https://www.nbb.be/doc/cp/fr/2021/20210608_nbb_2021_12.pdf

[5] Rappelons que la Belgique a connu quatre procédures d’amnistie fiscale et pénale. Nous en sommes actuellement à la quatrième procédure, d’où l’appellation DLUquater de la loi en vigueur. Cf. Loi du 21 juillet 2016 visant à instaurer un système permanent de régularisation fiscale et sociale, M.B., 29 juillet 2016.

[6] A. PUGLISI, « Circulaire du 8 juin 2021 de la Banque Nationale – devoirs de vigilance à l’égard du rapatriement de fonds depuis l’étranger », 22 juin 2021, disponible sur www.afschrift.com.

[7] Contrairement aux DLUter et DLUquater, les deux premières DLU (loi du 31 décembre 2003 et loi du 27 décembre 2005) ne permettaient pas de régulariser des capitaux prescrits, c’est-à-dire des capitaux dont le délai d’établissement de l’impôt était atteint. Premièrement, la DLUter (a ouvert la procédure de régularisation aux capitaux prescrits. Par la suite, la DLUquater l’a imposé lorsque le contribuable n’est pas en mesure de prouver l’origine licite de ceux-ci.

[8] LALLEMAND, LEGROS et JOYN, « DLUs et prévention du blanchiment : « Look back » sur les rapatriements », 16 juin 2021, disponible sur www.llj.be. ; P. SMEYERS et H. NEVE, “Verplichting voor financiële instellingen om in het verleden uit het buitenland gerepatrieerde geldmiddelen opnieuw onder de loep te nemen ?” 23 juin 2021, disponible sur www.lexgo.be ; J.-P. BOMBAERTS, « Blanchiments : les banques devront vérifier l’origine des fonds rapatriés », 22 juin 2021, disponible sur www.lecho.be.

[9] N. COLIN et A. HUBLET, op. cit., p. 179 : « Dans le contexte récent, ce risque de responsabilité civile est accru par les tensions entre l’obsession de transparence et les obligations de secret, de non-ingérence et de discrétion pesant sur les différents professionnels concernés, lesquels mettent les entités assujetties face à des normes contradictoires ».

[10] A la lumière de la législation belge et européenne, les justifications envisageables pour fonder une dénonciation effectuée de bonne foi consistent à : « savoir » que les fonds proviennent d’une activité criminelle ou sont liés au financement du terrorisme, « soupçonner » ou « avoir des motifs raisonnables de soupçonner » que ces fonds proviennent d’une telle source, coopérer rapidement avec les cellules de renseignement financiers. Cf. art. 33 de la Directive (UE) 2015/849 du Parlement Européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, J.O.U.E., L 141, 5 juin 201 ; loi du 18 septembre 2017, art. 47.

[11] L. CORNELIS, « Voorkoming van het gebruik van het financiële stelsel voor het witwassen van geld », Rev. Banque, 1994, p. 98.

[12] En vertu de l’article 2268 de l’ancien C. civ.

[13] Telle que la notion de soupçon par exemple. Cf. J.-P BUYLE et O. PIRET-GERARD, « La notion de soupçon dans la législation anti-blanchiment », Libertés, (l)égalité, humanité, A. Alen et al. (dir.) 1ère éd., Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 851-878.

[14] Voy. not. Civ. Louvain (9e ch.), 21 avril 2010, Rev. dr. pén. entr., n°2/3 ; Comm., Bruxelles, 23 janvier 2017, R.G. n° A/13/08330, inédit ; Bruxelles (8e ch.), 2 mai 2017, D.B.F., 2018/1, p. 3 citées par J.-P BUYLE et O. PIRET-GERARD, op. cit., p. 851-878.

[15] La décision de la Cour d’appel de Bruxelles rendue en la matière semble particulièrement sévère pour les établissements financiers. Dans cette affaire, les agissements du client étaient plutôt atypiques et portaient à suspicion. Cependant, la Cour ne fut pas de cet avis et estima que la responsabilité de la banque était engagée en raison d’une dénonciation effectuée de mauvaise foi par la banque. Voy. Bruxelles, 2 mai 2017, D.B.F., 2018/1, p. 3.

[16] J.-P BUYLE et O. PIRET-GERARD, op. cit., p. 877.

[17] Projet de loi relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces, Exposé des motifs, Doc., Ch. 2016- 2017, n° 2566/001, p. 174-175 : « (…) l’immunité reste intacte même dans une situation où les déclarants n’avaient pas une connaissance précise de l’activité criminelle sous-jacente et ce, indépendamment du fait qu’une activité illicite s’est effectivement produite (Recommandation 20 GAFI). Ainsi, par exemple, dès lors qu’une entité assujettie avait des raisons de soupçonner l’origine illicite des fonds, cette origine pouvant consister dans de la fraude fiscale, sa responsabilité ne peut pas être mise en cause par le client du fait qu’elle n’avait pas déterminé préalablement qu’il s’agissait de fraude fiscale grave. A cet égard, il est également précisé que la déclaration doit être considérée de bonne foi dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le but de nuire au client et ne se base pas sur des informations que l’entité savait erronées. La bonne foi implique en outre que l’entité assujettie n’ait pas commis de manquement manifeste à l’obligation d’examen attentif prévue à l’article 35, § 1er, 1°, en projet, ou à son obligation d’analyser les opérations atypiques, conformément à l’article 45, § 1er, en projet, et qu’il ne puisse pas être considéré qu’elle devait savoir ou, en tout cas, qu’elle ne pouvait ignorer que les opérations ayant fait l’objet de la déclaration de soupçons n’étaient pas liées au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. Ceci suppose notamment que, dans son examen de l’opération considérée, l’entité assujettie tienne compte de manière appropriée de l’ensemble des informations pertinentes relatives au client, à la relation d’affaires et à l’opération qui sont en sa possession ».

[18] Voy. p. 12-13 et 25-26 de la circulaire du 8 juin 2021.

[19] Il s’agit de l’opinion majoritaire de la doctrine sur la question. P. SMEYERS et H. NEVE, “Verplichting voor financiële instellingen om in het verleden uit het buitenland gerepatrieerde geldmiddelen opnieuw onder de loep te nemen ?” 23 juin 2021, disponible sur www.lexgo.be ; LALLEMAND, LEGROS et JOYN, op. cit., disponible sur www.llj.be.

[20] A. LECOCQ et al., « Nouvelle procédure de régularisation fiscale – Analyse de la loi du 11 juillet 2013 », J.T., 2013/36, n° 6538, p. 693.

[21] Ce principe appartient aux principes de bonne administration. Cf. S. LEQUEU, Principe de confiance légitime : quelle légitimité dans l'ordre juridique belge?, Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2017. Pour son application en droit fiscal, cf. C. PARMENTIER, « Le principe de confiance légitime confronté au principe de légalité en droit fiscal », J.L.M.B., 2015/2, p. 83.

[22] F. KUTY, « Les hypothèses d’inapplicabilité des principes de la rétroactivité de la loi pénale favorable et de la non-rétroactivité de la loi pénale défavorable », Principes généraux du droit pénal belge – Tome I – La loi pénale, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2018, p. 344.

[23] R. THONET et S. SCARNA, « La régularisation fiscale – DLU quater », R.P.P., 2018/3, p. 205-206.

[24] LALLEMAND, LEGROS et JOYN, op. cit., disponible sur www.llj.be.

[25] Comm., Bruxelles, 23 janvier 2017, R.G. n° A/13/08330, inédit ; Comm. néerl. Bruxelles, 27 février 2013, R.G., n° 05/7478, inédit.

[26] C. ALTER, Droit bancaire général, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 176.

[27] Un règlement a bien été adopté par la BNB en application de la loi et confirmé par un arrêté royal du 10 décembre 2017 (M.B. 22 décembre 2017). Cf. Règlement de la Banque nationale de Belgique du 21 novembre 2017 relatif à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

[28] D’autres alternatives sont possibles. Cf. l’article 93, §1, de la loi du 18 septembre 2017 précitée qui permet d’adresser des injonctions aux entités assujetties ou des astreintes (§2) lorsque ces injonctions ne sont pas respectées. Si, malgré une application de l’article 93, il n’a pas été remédié à la situation, l’article 94 prévoit des sanctions plus sévères. L’article 36/22, 34bis° et 35° de la loi du 22 février 1998 (fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique) prévoit la possibilité d’exercer un recours selon une procédure accélérée auprès du Conseil d'Etat en cas d’application des articles 36, §2 et 94 de la loi du 18 septembre 2017 précitée.

[29] Art. 36/8, § 1er de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, M.B., 28 mars 1998. Concernant les détails de cette procédure, voir H. CULOT, « Le cadre institutionnel de la régulation bancaire et financière en Belgique », Traité pratique de droit commercial, C. Jassogne, D. Blommaert et D. Raes (dir.), vol. 1, 2e éd., Waterloo, Kluwer, 2016, p. 77-78.

[30] Loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique, M.B., 28 mars 1998, art. 36/21.

[31] Art. 136 à 138 de la loi du 18 septembre 2017.

[32] Ce troisième point de l’article dispose : « convertir ou transférer des avantages, biens et valeurs dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ou d’aider toute personne qui est impliquée dans la réalisation de l’infraction [sous-jacente] à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ».

[33] R. THONET et S. SCARNA, « La régularisation fiscale – DLU quater », R.P.P., 2018/3, p. 219-220. Mais à voir comment la Directive la plus récente (6ième) sur l’anti-blanchiment va être transposé en droit belge : 'Maak huis-tuin-en-keuken-fraude niet langer strafbaar' | De Tijd

[34] Lois coordonnées du Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, art. 14.

[35] Loi du 22 février 1998 précitée, art. 12quinquies.

[36] R.v.St., 19/05/2008, T.F.R., 2008/19, nr. 351.

[37] P. LEWALLE et L. DONNAY, « Le recours en annulation des actes et règlements des diverses autorités administratives — Compétence et recevabilité », Contentieux administratifs, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 744.

[38] P. LEWALLE et L. DONNAY, ibidem., p. 749.

[39] C.E., 24 juin 1983, Tassin c. État belge, n° 23.401, Rec., p. 1434.

[40] B. CAMBIER, Procédure administrative, syllabus, 2020, disponible sur www.avocats.be.

[41] Cass. 10 septembre 2007, J.T., p. 748-749.

[42] Cass., 4 décembre 2006, J.L.M.B., 06/1166.

[43] P. SMEYERS et H. NEVE, op. cit. ; LALLEMAND, LEGROS et JOYN, op. cit., disponible sur www.llj.be.

[44] J.-P. BOMBAERTS, op. cit., disponible sur www.lecho.be. Cass. (2e ch.) RG P.06.1129.N, 28 novembre 2006 (Z.S.M.)

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