Les violences policières
13 May 2022
Droit pénal général
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Les violences policières

Les violences policières

1. Le 7 juillet 2020, lors d’une audition à la Chambre des représentants, plusieurs institutions ont été entendues sur la question des violences policières.

Le représentant d’AVOCATS.BE a déclaré ceci :

« En parallèle à la réflexion sur les violences faites aux policiers, AVOCATS.BE estime qu’il serait utile de rouvrir une réflexion sur les violences faites par les policiers.
L’actualité brûlante à ce sujet confirme ce besoin.
En 2019, le Comité P a rédigé un rapport d’enquête qui souligne de nombreuses bavures en matière de gestion interne de certains policiers sanctionnés disciplinairement pour violence à l’égard de tiers. Le rapport dénonce notamment la difficulté liée à la gestion de dossiers disciplinaires et la communication des informations entre les autorités disciplinaires, en particulier lorsqu’un policier est affecté à une nouvelle zone.
Dans son rapport, le Comité P indique clairement que la réponse pénale doit être organisée afin de combler les lacunes, les décisions pénales ayant un effet bénéfique prouvé sur le risque de récidive. » [1]

2. En ce qui concerne les violences contre les policiers, on constate qu’au pénal on a renforcé les peines en doublant les peines minimum et maximum pour les coups et blessures portés aux policiers.
Sur le plan civil, on remarque que les tribunaux suivent majoritairement et de manière large les demandes d’indemnisation formulées par les zones de police et les agents. [2]

3.En ce qui concerne les violences policières illégitimes, les dossiers sont régulièrement classés sans suite ou s’ils ne le sont pas n’aboutissent que très rarement à une condamnation. Selon le Comité P lui-même, « Les fonctionnaires de police semblent bel et bien bénéficier d’un régime pénal extrêmement favorable ». [3]

Dans le rapport Police Watch publié par la ligue des droits humains en avril 2022, on lit que :

« Entre 2013 et 2017, 145 décisions judiciaires définitives ont été rendues concernant des poursuites pour ‘violence policière’ à charge des membres de police, ce qui correspond à une moyenne de 29 dossiers par an. C’est peu de dossiers traités par la justice, lorsqu’on sait qu’en 2020, le Comité P a enregistré 3112 nouveaux dossiers de plaintes. [4]
Parmi les 145 affaires jugées en 5 ans, seulement 30 ont vu les violences policières établies par la justice.

Sur le 350 membres des services de polices poursuivis dans toutes les affaires, 309 on été acquittés, 21 ont bénéficié de la suspension du prononcé et 20 seulement ont fait l’objet de peines pénales. »

Dans un rapport sur les violences policières publié en 2019, le Comité P constate que des évaluations négatives et des sanctions disciplinaires sont très rarement notifiées aux policiers concernés parce que leur hiérarchie privilégie la « paix sociale » au sein du corps de police, ce qui « peut entraîner la persistance, voire le renforcement des comportements et d’attitudes inadéquats » et « le sentiment d’impunité, voire de légitimité du policier concerné. [5]

En parallèle, on s’aperçoit, nous dit le rapport Police Watch, que plusieurs victimes de violences policières ont fait l’objet de représailles qui vont du harcèlement, de la plainte boomerang ou de la citation directe pour rébellion, outrage ou diffamation, à la suspension des droits sociaux, en passant par leur criminalisation ou leur discrédit par certains médias ou responsables politiques.

Face à cette apparente inégalité de traitement entre les auteurs et les victimes de violences, l’adoption d’une politique criminelle s’impose à l’évidence.

4. Et puis il y a ceux qui dénoncent certains actes questionnants de policiers dont les pratiques violentes peuvent manquer de légitimité ou de proportionnalité.

Et je me dois de faire état de l’affaire qui oppose un policier dirigeant bruxellois à un avocat ancien président d’une institution active dans la défense des droits humains. Je le ferai avec réserve et retenue dans la mesure où ces dossiers sont toujours en cours mais cette affaire est aussi illustratrice de la manière dont l’ordre juridique se définit et fonctionne.

Le policier reprochait au justiciable d’avoir tenu des propos critiquables à son encontre dans l’exercice de sa profession d’avocat dans des dossiers où il défendait des justiciables ou en sa qualité de président sur des sujets d’intérêt général et dans le cadre de la défense des libertés fondamentales. Ces propos avaient été tenus dans la presse et sur les réseaux sociaux sur une période de 8 années.

L’avocat de son côté reprochait au policier de l’avoir injustement privé de liberté alors qu’il arrivait à une manifestation.

La plainte du policier visait 6 préventions : calomnie, diffamation, imputations méchantes, injures, harcèlement et outrages.

Le fait que la plainte initiale du haut fonctionnaire ait été déposée dans le commissariat où il travaillait, le fait que les pièces déposées aient été analysées par son collègue de bureau qui rédigera un procès-verbal à destination du Parquet et le fait que le justiciable ait été entendu par les collègues du plaignant sont questionnants au regard du procès équitable.

Dans son ouvrage « Théories et institutions pénales », Michel Foucault écrit que « ce qui caractérise l’acte de justice, ce n’est pas le recours à un tribunal et à des juges, ce n’est pas l’intervention des magistrats (…). Ce qui caractérise l’action juridique, le processus ou la procédure au sens large, c’est le développement réglé d’un litige. Et dans ce développement, l’intervention des juges, leur avis ou leur décision n’est jamais qu’un épisode. C’est la manière dont on s’affronte, la manière dont on lutte qui définit l’ordre juridique. La règle et la lutte, la règle dans la lutte, c’est cela le juridique ». [6]

Après 2 ans, le Parquet a classé sans suite la plainte du policier.

Le policier dirigeant lança alors une citation directe contre l’avocat uniquement pour harcèlement et outrages, sans pièce et sans fait nouveau.

Le Parquet appuya alors cette plainte dans son réquisitoire mais uniquement dans son volet harcèlement, considérant que l’ensemble et la répétition des propos incriminés pouvaient poser problème.

Par jugement du 15 juillet 2021, le Tribunal correctionnel de Bruxelles s’est déclaré incompétent pour juger les faits de harcèlement dans la mesure où seule la Cour d’assises est compétente pour apprécier si les écrits ou propos publiés dans la presse et les réseaux sociaux sont susceptibles de relever du délit de presse.

Quant à la prévention d’outrages visant certains propos tenus par le prévenu, le tribunal ne l’a pas retenue et n’y a vu que l’expression de la liberté d’expression de l’intéressé, ces propos fussent-ils polémiques.

Un appel a été interjeté par le haut fonctionnaire. Le Parquet a suivi. Aucune motivation juridique n’a assorti ces deux appels.

Nous avions demandé de pouvoir plaider rapidement ce dossier. L’affaire a été remise à deux ans. Probablement en raison de l’encombrement des rôles de la Cour d’appel mais peut-être pas uniquement. L’existence même de cette procédure peut constituer une forme de pression.

Quant à la plainte que l’avocat avait déposée contre le policier, en raison de son arrestation arbitraire, elle suit son cours à l’instruction. Il n’y aucun empressement à la diligence.

En conclusion, je voudrais émettre trois souhaits :

  • que les autorités adoptent une position claire en matière de violences policières ;
  • qu’au nom du respect des droits humains et des valeurs défendues par l’U.E. et le Conseil de l’Europe, les dossiers relatifs aux actes de violences illégitimes contre la police et les actes de violence illégitimes commis par les policiers soient traités de façon non discriminatoires ;
  • que soit préservée la liberté d’expression de tous ceux qui dénoncent toute forme illégitime de violence.

Il en va du respect et de la survie de notre Etat de droit et de notre démocratie.

[1] Doc. 55 Just 003, p. 3 chambre, 2e session de la 55e législation 2019-2020.
[2] Op cit.
[3] Rapport annuel, 2006, p. 20.
[4] Rapport Police Watch, p. 26.
[5] Comité P, Violences policières – enquête de contrôle, 2015, p. 37.
[6] Gallimard, 2015, 4e de couverture.

Les documents annexes

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