Les écoutes téléphoniques des avocats doivent être mieux encadrées
8 October 2014
Procédure pénale
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Les écoutes téléphoniques des avocats doivent être mieux encadrées

Les affaires des écoutes téléphoniques au plus haut niveau de l'Etat ont fait grand bruit chez nos voisins français. Qu'en est-il en Belgique ? Sous quelles conditions un avocat peut-il être mis sur écoute ? Qu'en est-il du respect du secret professionnel de l'avocat ? Et quel est le rôle du bâtonnier ?

L'affaire des écoutes téléphoniques de conversations entre un ancien président de la République Française et son avocat et entre cet avocat et son bâtonnier a fait couler beaucoup d'encre.

Qu'en est-il en Belgique où les écoutes téléphoniques sont légion ? Pas moins de 450 belges seraient sur écoute chaque mois.

La loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées dispose que les communications et télécommunications privées ne peuvent être consignées dans un procès-verbal si elles sont couvertes par le secret professionnel.

S'il s'agit d'une conversation avec un avocat, le juge d'instruction informe le bâtonnier concerné des éléments des communications ou télécommunication recueillies qu'il estime relever du secret et qui ne sont pas consignés au procès- verbal. Le bâtonnier n'a cependant ni accès au contenu de ces conversations, ni droit de regard sur ce qui est conservé et utilisé par le juge d'instruction et les enquêteurs.

Il existe deux cas où un avocat peut être placé sous écoute téléphonique :

  • lorsqu'il est lui-même soupçonné d'avoir commis une infraction ou d'y avoir participé;
  • lorsque des faits précis laissent présumer que des tiers soupçonnés d'avoir commis une infraction utilisent ses locaux, sa résidence ou ses moyens de communication ou de télécommunication

Le juge d'instruction doit disposer d'indices graves et concordants justifiant ses soupçons. Si un avocat est placé sous écoute, le bâtonnier concerné doit toujours être informé au préalable par le juge, exactement comme lorsqu'une perquisition vise un avocat. L'expérience montre cependant que peu de bâtonniers se disent informes de l'existence de telles mesures.

Actuellement, les écoutes sont exécutées par les enquêteurs. La recherche d'un meilleur équilibre entre les impératifs d'une instruction et le respect du secret professionnel justifierait de réserver l'écoute des conversations de l'avocat au seul juge d'instruction, comme c'est le cas en matière de perquisition de cabinet d'avocats. Le juge se ferait assister du bâtonnier ou de son représentant et tiendrait compte de ses observations éventuelles, même si le pouvoir décisionnel en revient au seul juge d'instruction, sous le contrôle a posteriori des juridictions de fond.

En France, l'obligation d'information préalable du bâtonnier est sanctionnée légalement par la nullité. Ce n'est pas le cas en Belgique, même si nous plaidons en ce sens. Nous touchons ici de plein fouet la matière des droits fondamentaux et du procès équitable et des relations de confiance touchant les droits de la défense.

Je suis favorable à la mise en œuvre d'un cadre judiciaire exigeant pour la défense des libertés publiques. Récemment les deux Ordres du barreau de Bruxelles se sont réunis et en ont appelé à la rédaction d'un véritable protocole avec la magistrature sur les procédures à mettre en place en matière d'écoutes téléphoniques d'avocats, que ces interceptions soient directes, incidentes ou à filets dérivants.

Cette problématique pose quantité de questions au regard du respect du secret professionnel de l'avocat que les actuelles garanties légales ne suffisent pas à préserver. Comment les informations sont-elles exactement recueillies ? Comment peut-on avoir la certitude que, lorsque des éléments couverts par le secret sont saisis par les enquêteurs, ceux-ci n'en font aucun usage et n'en tiennent aucun compte ? Peut-on se satisfaire de la seule référence à la loyauté des magistrats ou des enquêteurs ?

Sans doute la législation belge offre-t-elle davantage de garanties que d'autres mais elle pose toujours la question de la proportionnalité entre les méthodes d'enquête utilisées et les faits qui sont poursuivis. L'utilisation de techniques permettant, sur la seule base d'un soupçon, de recourir à des méthodes particulières d'enquête de nature à scruter l'avis et les actes d'une personne sur une période indéterminée et donc de recueillir quantité de renseignements à son sujet, constitue en soi une menace pour la démocratie.

Qui plus est, la mise sur écoute d'un avocat sur le seul soupçon de commission d'une infraction n'emporte pas la destruction des enregistrements et de leur retranscription lorsque ces soupçons se relèvent non fondés.

Qu'en est-il en outre lorsque l'avocat est soupçonné et non son client ? Leurs conversations peuvent-elles alors être écoutées, a fortiori retranscrites, dussent-elle révéler à elles seules une complicité ou une corréité?

Qu'en est-il lorsque l'avocat communique avec son bâtonnier et que cet entretien est lui- même enregistré ? J'ai moi-même été confronté à cette problématique. Un avocat qui venait d'être perquisitionné était sur écoute au moment où celui-ci m'a téléphoné après la perquisition. Le script de cette conversation s'est retrouvé au dossier. Ceci n'est pas admissible. Cette conversation privée est couverte par le secret le plus absolu dans la mesure où le bâtonnier est le confident naturel des membres de son barreau.

Il nous paraît indispensable que les barreaux fassent entendre leur voix tant pour stigmatiser que la loi n'est pas respectée que pour renforcer le rôle du bâtonnier. Il convient notamment de revendiquer que le bâtonnier soit informé du renouvellement des mises sous écoute d'un avocat ou qu'il soit appelé à se prononcer lorsque des conversations entre avocats sont écoutées et retranscrites.

Il ne s'agit pas de revendiquer une quelconque impunité dans le chef des acteurs de justice, ce qui n'est pas de mise, mais de rechercher une solution plus adéquate et mieux protectrice des droits fondamentaux des justiciables.

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