Perquisition et secret professionnel
24 January 2022
Déontologie
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Perquisition et secret professionnel

1.Le secret professionnel de l’avocat peut s’effacer en présence de graves soupçons de la commission, d’infractions par celui-ci. Dans ce cas, si des perquisitions sont opérées chez l’avocat et que des pièces ou des documents a priori secrets sont saisis, des conditions et des garanties doivent être strictement respectées. C’est ce que rappelle la Cour européenne des Droits de l’Homme dans un arrêt du 13 avril 2021[1]. Cette décision s’inscrit dans une continuité jurisprudentielle constante et nourrie depuis une trentaine d’années.

2. Dans cette affaire, un avocat belge avait été soupçonné d’infractions pénales dans deux dossiers différents.

Dans la première affaire, des pièces avaient été saisies lors d’une perquisition à son cabinet, dont la copie d’échanges et de notes de conversations téléphoniques entre l’avocat et sa cliente et les victimes supposées de sa cliente, soupçonnée d’escroquerie.

Dans la seconde affaire, des pièces avaient été saisies lors d’une perquisition à son cabinet et à son domicile.

Dans les deux affaires, l’avocat fut en définitive acquitté par les cours et tribunaux. Dans les deux affaires, l’avocat inculpé tenta en vain de faire écarter les pièces saisies par les autorités, considérant que le secret professionnel avait été violé.

Aucune des juridictions saisies par l’avocat n’accepta d’écarter les pièces saisies des débats, considérant que le secret professionnel ne couvrait pas les documents litigieux (Chambre du conseil, Chambre des mises en accusation, Cour de cassation, Tribunal correctionnel, et, dans la seconde affaire, Cour d’appel).

En droit belge, la Cour de cassation a jugé que le secret professionnel auquel l’article 458 du code pénal soumet les avocats repose sur la nécessité d’assurer une entière sécurité à ceux qui se confient à eux, mais que, ni cette disposition ni l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (ci-après, la Convention) ne s’opposent à la saisie et à l’exploitation par un juge d’instruction de documents en rapport avec les activités suspectes d’un avocat[2].

« Si un avocat est en cause comme complice au co-auteur des faits qui font l’objet de l’instruction, la saisie pourra porter sur tous les documents ou éléments en relation directe avec les infractions sans aucunement tenir compte du souhait éventuel des personnes poursuivies de ne pas voir produites des pièces théoriquement couvertes par le secret professionnel »[3]

3. Saisie de deux recours de l’avocat perquisitionné et saisi à deux reprises, fondés sur l’article 8 de la Convention (violation de son droit au respect de son domicile et de sa correspondance, atteinte au secret professionnel de l’avocat), la Cour européenne a considéré que les requêtes étaient manifestement mal fondées et les a rejetées.

A cette occasion, la Cour a rappelé et affiné sa jurisprudence connue de longue date.

4. La Cour rappelle d’abord qu’une fouille opérée au cabinet d’un avocat est une irruption dans la vie privée et la correspondance et éventuellement du domicile[4].

Les perquisitions et saisies litigieuses ont constitué une ingérence dans les droits au respect de la vie privée du domicile de l’avocat requérant.

5. Mais la Cour considère que cette ingérence était légitime au sens de l’article 8.2 de la Convention.

D’abord, l’ingérence litigieuse était prévue par la loi[5]. Les articles 87 et 88 du Code d’instruction criminelle autorisaient le juge d’instruction à procéder aux perquisitions des papiers, effets, et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité.

La Cour se réfère aussi à la jurisprudence de la Cour de cassation (citée supra n°2) au terme de laquelle le secret professionnel ne saurait constituer un obstacle absolu aux perquisitions et saisies dirigées contre un avocat, en particulier, lorsque ce dernier est lui-même soupçonné de s’être rendu coupable des infractions pénales qui justifiaient ces actes d’enquête.

La Cour ajoute que la pratique[6] veut que les perquisitions dans les cabinets d’avocats soient exécutées par les juges d’instruction en personne et en présence du bâtonnier ou de son représentant, lequel est appelé à émettre un avis sur le caractère confidentiel des pièces que le magistrat instructeur envisage de saisir, étant entendu que ce dernier est seul compétent pour apprécier souverainement, sous réserve du contrôle ultérieur des juridictions d’instruction et de jugement, les éléments utiles à la manifestation de la vérité et pour identifier les pièces qui, le cas échéant, sont couvertes par le secret professionnel de l’avocat.

6. La Cour considère enfin que l’ingérence litigieuse constituait une mesure qui, dans une société démocratique est nécessaire, dans la mesure où le législateur belge et la pratique interne offrent des garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire :

  • les perquisitions et saisies litigieuses visaient à faire la lumière sur des infractions auxquelles l’avocat était personnellement soupçonné d’avoir prêté son concours dans l’exercice de sa profession ;
  • l’avocat était présent lors des deux perquisitions et saisies. Il avait été à chaque fois dument informé par le juge d’instruction en personne quant au cadre dans lequel intervenait ces actes d’enquête ;
  • l’objet des perquisitions et saisies était limité aux infractions que l’avocat étaient soupçonné d’avoir commises dans l’exercice de sa profession d’avocat ;
  • les documents saisis par les autorités se rapportaient exclusivement aux faits qui faisaient l’objet des demandes de perquisitions à l’encontre de l’avocat ;
  • les deux perquisitions avaient été effectuées par le juge d’instruction en personne, soit un magistrat indépendant, chargé d’instruire à charge et à décharge ;
  • le bâtonnier du barreau dont relevait l’avocat était présent lors des perquisitions. Il avait pu à chaque fois émettre un avis quant au fait de savoir si certaines pièces étaient couvertes par le secret professionnel. L’avis négatif émis par le bâtonnier concernant certaines pièces saisies lors de la première perquisition conduisait le juge d’instruction à faire établir deux listes précisant clairement les pièces qui avaient été saisies sur avis positif du bâtonnier et celles qui avaient fait l’objet d’un avis négatif, ce qui constituait une garantie importante, en ce qu’elle facilitait le contrôle à exercer ultérieurement par les juridictions d’instruction et de jugement ;
  • l’avocat avait disposé – et effectivement usé – de la possibilité de s’opposer aux saisies des pièces litigieuses[7].En conclusion, l’avocat belge avait bénéficié de garanties adéquates et suffisantes contre les abus et l’arbitraire, qui permettaient à la Cour de conclure que l’ingérence qu’il avait subi était bien nécessaire dans une société démocratique et qu’elle était autorisée, sur base de l’article 8.2 de la Convention[8].

Plus récemment, la Cour a considéré qu’un avocat estonien n’avait pas bénéficié de garanties procédurales suffisantes permettant d’assurer l’intégrité du secret professionnel lors d’une saisie de données contenues dans son ordinateur et son gsm et liées à son activité professionnelle suite à une perquisition réalisée à son cabinet, son domicile et dans son véhicule[9].

La Cour a jugé en cette affaire que les exceptions au principe de la confidentialité des relations entre un avocat et son client devaient être encadrées strictement, au vu de la place essentielle que les avocats dans l’administration de la justice.

7. D'autres questions auraient pu être débattue dans l'affaire sommentée.

Les mandats de perquisitions étaient-ils rédigés en termes clairs et précis ? Dans plusieurs affaires en effet, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention dans la mesure où le mandat avait été rédigé en termes trop larges et trop vagues[10].

Un libellé excessivement général d’un mandat donnant toute latitude à la police pour déterminer ce qui est à saisir est en effet insuffisant[11].

Les saisies des documents litigieux étaient-elles dans l’espèce proportionnées ?

Dans certaines affaires, la Cour a considéré que la fouille avait empiété sur le secret professionnel à un degré qui se révélait disproportionné en l’occurrence. Elle rappelait à cet égard que, dans le cas d’un avocat, pareille intrusion peut se répercuter sur la bonne administration de la justice et, partant, sur les droits garantis par l’article 6 de la Convention (droit à un procès équitable)[12].

La problématique des saisies litigieuses aurait pu aussi être examinée au regard de l’article 6 de la Convention.

En effet, la pratique belge veut que c’est le juge d’instruction lui-même – et non le bâtonnier ou son délégué, voire un juge indépendant et tiers à l’enquête – qui apprécie si des pièces doivent être saisies, le cas échéant en s’écartant, comme en l’espèce, de l’avis donné par le bâtonnier ou son délégué.

Même si le juge les écarte par la suite pour le motif que ces pièces sont protégées par le secret professionnel, il en aura pris connaissance et pourra difficilement les écarter de son esprit. Les informations dans ces documents seront donc prises en considération, à tout le moins inconsciemment, par le magistrat de telle sorte que des informations couvertes par le secret professionnel seront utilisées contre l’avocat perquisitionné. Cela peut constituer une violation des droits de la défense et du procès équitable[13].

Est-il en effet normal que le même acteur de justice cumule tous les rôles : mener l’enquête, soupçonner, inculper, perquisitionner, saisir, décider du droit des parties (accès au dossier, devoirs complémentaires, saisies ou non des pièces couvertes par le secret professionnel) ? Même s’il écarte les pièces après les avoir lues, il a eu accès à l’information dont il a eu connaissance en lisant lesdites pièces.

Ne faut-il pas, comme en France, prévoir qu’au cas où le secret professionnel est invoqué, les documents doivent être scellés et soumis à un juge qui n’est pas saisi pour connaître du fond de l’affaire ? Cette procédure peut se poursuivre en parallèle en permettant une décision avant que l’instruction soit terminée.

8. En conclusion, si les perquisitions et les saisies chez un avocat portent incontestablement atteinte au secret professionnel qui est à la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client et qui est le corolaire du droit qu’a le client d’un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, le droit interne peut prévoir la possibilité de perquisitions ou de visites domiciliaires dans le cabinet ou au domicile d’un avocat. Celles-ci doivent cependant impérativement être assorties de garanties particulières pour résoudre de façon satisfaisante la tension entre les exigences de la recherche de la vérité judiciaire et celles du secret dont l’avocat est le dépositaire.

C’est ce que rappelle la Cour de Strasbourg dans l’arrêt commenté.

[1] CEDH (3ème section) 13 avril 2021, JT, 2021/42 et obs. TH. BONTINCK, La conventionalité de la perquisition d’un cabinet d’avocat dépend du respect des conditions strictes.

[2] Cass. 9 juin 2004 (P.040424.F).

[3] Correct. Bruxelles 29 mars 2001, JT, 2001 page 617 et note P. LAMBERT « Le secret professionnel de l’avocat et les conflits de valeurs ».

[4] NIEMIETZ c. Allemagne, 16 décembre 1992, §§29-33, série A, n°251-B, PETRI SALLINEN et autres c. Finlande, n°50882/99, §71, 27 septembre 2005, ANDRE et autre c. France, n°18603/03, §36, 24 juillet 2008, JT 2008, p. 550, JLMB 2009, p. 864 et obs A. JACOBS et P. HERNY « Non les cabinets d’avocat de sont pas des banques de données », KRUGLOV et autres c. Russie, n° 11264/04 et 15 autres, §123, 4 février 2020.

[5] Contra dans l’affaire PETRI SALLINEN et autres c. Finlande 27 septembre 2005 dans laquelle l’ingérence litigieuse n’était pas prévue par la loi. Dans cette affaire, la Cour a estimé en particulier que le droit finlandais ne fournissait pas des garanties juridiques adéquates, en ce qu’il ne précisait pas clairement les circonstances dans lesquelles les documents confidentiels pouvaient faire l’objet d’une perquisition et d’une saisie (Voy. aussi HEINO c. Finlande, arrêt du 15 février 2011).

[6] Il aurait été plus adéquat de parler « d’usage » ou « de coutume », qui ont un caractère obligatoire et peuvent mieux répondre à l’exigence de légalité qu’une pratique, qui n’a pas en soi d’effet obligatoire.

[7] Dans une autre affaire, la Cour a conclu que le fait que le droit national n’ayant permis à l’avocat requérant de contester la légalité de la perquisition et de la saisie ou d’obtenir réparation violait l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif) (affaire ILIYA STEFANOV c. Bulgarie 22 mai 2008 ; comparer l’affaire LINDSTRAND PARTNER ADVOKATBYRA ABC.Suède 20 décembre 2016) ou l’article 6 alinéa 1 de la Convention (droit à un procès équitable) (affaire VINCI CONSTRUCTION et GTM GENIE CIVIL et SERVICES c. France 2 avril 2015).

[8] À contrario, cons. les affaires NIEMIETZ c. Allemagne 16 décembre 1992, SMIRINOV c. Russie 7 juin 2007, ALEXANIAN c. Russie 22 décembre 2008, KOLESNICHENKO c. Russie 9 avril 2009, YUDITSKAVA et autres c. Russie 12 février 2015, WIESEN et BICOS BETEILLIGUNGEN GMBH c. Autriche 16 octobre 2007, ILIYA STEFANOV c. Bulgarie 22 mai 2008, GOLOVAN c. Ukraine 5 juillet 2012, ANDRE et autre c. France 24 juillet 2008, ROBATHIN c. Autriche 3 juillet 2012, VINCI CONSTRUCTION et GTM GENIE CIVIL et SERVICES c. France 2 avril 2015, SERVULO et ASSOCIADOS DE ADVOGADOS c. Portugal 3 septembre 2015, LINDSTRAND PARTNERS ADVOKATBYRA c. Suède 20 décembre 2016… et comparer TAMASIUC c. Royaume-Uni 19 septembre 2012.

[9] Affaire VIKTOR SARGAVA c. Estonie (698/19) 16 novembre 2021.

[10] Cf par exemple affaire NIMIETZ c. Allemagne 16 décembre 1992, affaire ANDRE et autre c. France 24 juillet 2008 ou affaire ROBATHIN c. Autriche 3 juillet 2012.

[11] Affaire SMIRNOV c. Russie 7 juin 2007 et ILIYA STEFANOV c. Bulgarie 22 mai 2008.

[12] Affaire NIMIETZ c. Allemagne 16 décembre 1992.

[13] D. VAN GERVEN, Comment assurer le secret professionnel lors de la perquisition d’un cabinet d’avocat, mélanges P. LEGROS et R. GLANDSDORFF, BRUYLANT, 2013, page 763 ; F. KRENC, Les perquisitions et saisies chez l’avocat au crible de la convention européenne des Droits de l’Homme, in Pourquoi Antigone ? Liber Amicorum Edouard JAKHIAN , BRUYLANT, 2010, page 304.

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