La transaction pénale comme mode alternatif de financement de la justice ?
20 September 2022
Droit pénal des affaires
Procédure pénale
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La transaction pénale comme mode alternatif de financement de la justice ?

Les transactions pénales ont rapporté plus de 400 millions d’euros en trois ans au Trésor public. C’est une activité indéniablement lucrative pour l’État. Ce mode alternatif de règlement de conflit permet l’extinction définitive des poursuites moyennant le paiement, par l’auteur présumé d’une infraction, d’une somme d’argent dont le montant est déterminé par le ministère public. Dans sa mercuriale de rentrée, le procureur général de Bruxelles invite à prélever une partie de ce montant pour alimenter un fonds qui servirait à refinancer la justice pénale.

Cette solution vise à répondre à un constat alarmant désormais bien connu : la justice pénale est gravement malade et faute de moyens, de nombreuses enquêtes prennent du retard, sont mises au frigo, ou sont purement et simplement abandonnées. Cette situation est source de frustration tant pour les victimes qui assistent impuissantes à l’enlisement de l’enquête que pour les suspects qui doivent apprendre à vivre des années durant avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête.

Dans le même temps, le législateur ne cesse de multiplier le nombre de comportements susceptibles de poursuites pénales, sans se préoccuper de la possibilité effective d'exercer des poursuites. En ne poursuivant pas ou plus certaines infractions, l’État consacre non seulement une impunité de fait, mais se prive également de moyens colossaux dans la mesure où ni amende ni confiscation ne vient in fine sanctionner le comportement infractionnel.

Dans ces conditions, le recours à la transaction pénale est salutaire pour l’État. Il permet non seulement d’éviter un procès long et coûteux, mais lui octroie également une manne financière importante.

Contrairement à la croyance populaire, la transaction pénale ne concerne pas que la criminalité « en col blanc » ou les seuls délits économiques. En effet, la transaction pénale est envisageable pour la quasi-totalité des infractions. Elle trouve à s’exprimer dans des domaines divers et variés, au premier rang desquels figurent les infractions au Code de la route qui sont dans leur grande majorité réglée par la voie de transactions pénales. Ce système, fruit d’un accord entre les parties au procès, permet ainsi au ministère public de sanctionner un comportement qu’il estime infractionnel et d’éviter au suspect les affres d’un procès-fleuve. Dans de nombreux litiges, cette option semble encore trop peu considérée par le Ministère public.

ECONOMIE D’UN PROCES MAIS PAS DE L’ENQUETE

Le recours aux transactions pénales est naturellement insuffisant pour remédier aux problèmes structurels connus par la justice pénale. Dans de nombreux cas, si la conclusion d’une transaction empêche la tenue d’un procès, elle ne permet pas de faire l’économie d’une enquête qui doit permettre au ministère public de déterminer les infractions commises et au suspect de mesurer le risque encouru.

À la croisée des chemins, l’idée du procureur général de Bruxelles de prélever un pourcentage sur chaque transaction pénale en vue de refinancer la chaîne pénale apparaît ainsi comme salvatrice. Si ce refinancement est indispensable pour restaurer l’État de droit, il fait également peu de doute qu’il permettra à l’État de disposer d’un retour sur investissement, en engrangeant des recettes dont il se prive inopportunément aujourd’hui. Ainsi, si les intérêts des uns et des autres ne se confondent pas, il y a néanmoins tout lieu de penser qu’ils sont beaucoup plus convergents qu’ils ne l’imaginent.

Cette affectation ne serait d’ailleurs pas une nouveauté dans le paysage judiciaire dans la mesure où les condamnés sont déjà tenus de contribuer à des fonds spéciaux en versant une contribution de 20 € pour le Fonds d'aide juridique de deuxième ligne et de 25 € (à majorer des décimes additionnels) pour le Fonds d'aide aux victimes.

INDEPENDANCE DU PARQUET

Si, à terme, une partie des montants récupérés par le biais des transactions pénales devait être allouée à un fonds en charge du bon fonctionnement de la chaîne pénale, il conviendrait néanmoins en amont de débattre des règles permettant de s’assurer de l’indépendance du ministère public lorsqu’il détermine et négocie le montant de la transaction pénale.

À ce titre, il faut garder à l’esprit que, nonobstant la finalité des montants engrangés, la transaction pénale proposée par le ministère public doit être adaptée aux capacités financières de la personne concernée et proportionnée à la gravité des faits. Pour déterminer ce montant, la procédure transactionnelle suppose un espace d’échange et d’interactions dans lequel l’horizontalité des rapports entre le ministère public, le suspect et son conseil est la norme.

À défaut, non seulement la transaction pénale s’expose à la censure des cours et tribunaux qui seraient, le cas échéant, chargés de son homologation, mais elle passera également à côté de son but : celui d’incarner une juste alternative au procès pénal.

Article publié le 20 septembre 2022 dans le journal l'Echo

Les documents annexes

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