Juger vite, juger mal ?
22 December 2022
Procédure pénale
5 minutes de lecture

Juger vite, juger mal ?

Une carte blanche publiée dans La libre Belgique le 20 décembre 2022

À l’issue des incidents s’étant déroulés en marge du match de football opposant la Belgique au Maroc, plusieurs personnalités politiques ont réclamé la mise sur pied d’une procédure de comparution immédiate destinée à juger de manière expéditive les personnes suspectées d’avoir commis les infractions constatées. Le ministre de la Justice a immédiatement embrayé en indiquant qu’il présenterait prochainement au gouvernement un projet de loi au terme duquel certains suspects pourront être jugés dans la semaine de la commission de l’infraction.

L’idée n’a rien de révolutionnaire puisque cette procédure - qui existe dans certains de nos pays voisins - a déjà été introduite dans notre ordre juridique par une loi du 28 mars 2000.

À l’époque, le ministre de la Justice Marc Verwilghen souhaitait que les fauteurs de trouble puissent comparaître rapidement. Pour y parvenir, le Code d’instruction criminelle fut modifié à la hâte pour y introduire la procédure de comparution immédiate au terme de laquelle le suspect - détenu ou libéré sous conditions – devait être jugé dans un délai de 4 à 7 jours.

Par un arrêt du 28 mars 2002, la Cour constitutionnelle a annulé la plupart des dispositions de la loi, la rendant de facto inapplicable. Faute de nouveau texte législatif, cette procédure de comparution immédiate est heureusement restée lettre morte.

On pensait le dossier définitivement enterré, mais à chaque incident, la procédure de comparution immédiate renait de ses cendres pour se dresser comme l’ultime rempart à la délinquance et à l’insécurité. Le paradigme de la justice ultrarapide, ici poussée à son paroxysme, est considéré comme la réponse à la demande sociale d’une justice de qualité. Ceci nous parait être une erreur.

Il faut d’abord rappeler qu’il existe déjà en droit belge une procédure accélérée applicable à la plupart des délits : « la convocation par procès-verbal » qui permet de demander la comparution d’une personne dans les deux mois après l’audition devant le procureur du Roi et qui, à la différence de la procédure de comparution immédiate, est maintenue en liberté dans l’intervalle. Le jugement doit être rendu dans le mois de l’audience. Originellement, si le jugement n’était pas rendu dans le délai prévu à cet effet, toute la procédure était mise à néant. Cette sanction a cependant été rapidement supprimée par une loi du 24 juillet 2008. Si nous avons renoncé à juger le prévenu dans un délai de quelques mois, il nous parait pour le moins irréaliste de penser que celui-ci puisse l’être dans un délai d’une semaine, sauf à concevoir un investissement supplémentaire dans la justice, qui ne semble pas à l’ordre du jour. Le discours du ministre de la Justice apparait à ce titre comme un effet d’annonce.

Si la mise en œuvre de cette procédure parait malaisée, elle est également inefficace pour répondre aux faits auxquels elle se propose d’être le remède. Ainsi, les événements s’étant produits à l’issue du match de football opposant la Belgique au Maroc n’ont donné lieu qu’à une seule arrestation judiciaire, d’une personne mineure qui a été mise à disposition du parquet jeunesse et qui n’aurait donc pas pu faire l’objet de cette procédure de comparution immédiate.

Autrement dit, soit il faut voir dans l’annonce du ministre de la Justice un emplâtre sur une jambe de bois soit il ne s’agit que d’un prétexte pour réintroduire en droit en belge une justice expéditive et déshumanisée qui ne laissera probablement aucune chance au suspect de demain de faire valoir ses droits, alors pourtant qu’il encourt jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.

En effet, au regard de la promptitude avec laquelle intervient l’audience, le respect des droits de la défense du suspect est difficile sinon impossible à assurer. Il est fort à parier que le dossier sera quasi-exclusivement composé de la seule enquête menée par les services de police dans un délai extrêmement court, sans aucun moyen pour le suspect - qui a passé la semaine en détention - d’en contredire le résultat, ce qui biaise bien évidemment le procès pénal dans son ensemble et qui rend toute égalité des armes illusoire.

Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que nos voisins d’outre-Quiévrain ont qualifié cette procédure de « justice d’abattage » et que notre Cour constitutionnelle a annulé plusieurs articles de la loi du 28 mars 2000 au motif notamment que les droits de la défense étaient doublement réduits, à la fois par le délai extrêmement court dans lequel ils doivent être exercés et par la limitation drastique des mesures que le prévenu pouvait solliciter.

De l’altération de la défense et de la précipitation dans laquelle le jugement doit être rendu découle un risque majeur, celui de « l’erreur judiciaire » car le tribunal, au même titre que la défense, risque d’être prisonnier des conclusions de l’enquête policière. Il ne disposera d’ailleurs plus d’un certain délai d’appréciation, pourtant consubstantiel à l’acte de juger, dès lors qu’il devra en principe statuer séance tenante ou au plus tard dans les cinq jours de la prise en délibéré.

Si qualité et célérité de la justice ne sont pas antinomiques, il faut éviter à tout prix que la seconde prenne le pas sur la première et que, instrumentalisée à des fins répressives, la réintroduction de la procédure de comparution immédiate permette subrepticement d’apparenter la conviction policière à la vérité judiciaire.

https://www.lalibre.be/debats/opinions/2022/12/15/faut-il-juger-plus-rapidement-les-fauteurs-de-troubles-ZYQCOZ552JAOVMA4UBWUJZV5IM/

Les documents annexes

01 Carte blanche : Faut-il juger plus rapidement les fauteurs de troubles ? pdf
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