Deux lois récentes limitent le secret professionnel des avocats : ce n’est pas souhaitable
14 November 2002
Droit pénal général
Déontologie
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Deux lois récentes limitent le secret professionnel des avocats : ce n’est pas souhaitable

Le secret professionnel est un élément fondamental de notre système juridique, tendant à garantir les droits de la défense. Il n’est pas prévu par la loi dans l’intérêt des avocats mais dans celui des justiciables en général et de la société.
Et pourtant, deux lois récentes ont restreint cette règle du secret professionnel pour des motifs qui, à première vue, peuvent apparaître justifiés en ce qu’ils concernent la protection de personnes potentiellement vulnérables.

Deux lois récentes, l’une du 30 novembre 2011 et l’autre du 23 février 2012, ont modifié l’article 458bis du Code pénal, en introduisant de nouvelles exceptions au secret professionnel.

Dorénavant, « toute personne qui, par état ou par profession, est dépositaire de secrets et a de ce fait connaissance de certaines infractions commises sur un mineur ou sur une personne qui est vulnérable en raison de son âge, d’un état de grossesse, de la violence entre partenaires (ce dernier aspect n’entrera en vigueur que le 1er mars 2013), d’une maladie, d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale peut en informer le procureur du Roi, soit lorsqu’il existe un dommage grave et imminent pour l’intégrité physique ou mentale de la personne vulnérable visée, et qu’elle n’est pas en mesure, seule ou à l’aide d’un tiers, de protéger cette intégrité, soit lorsqu’il y a des indices d’un danger sérieux et réel que d’autres personnes vulnérables visées soient victimes des infractions en question et qu’elle n’est pas en mesure, seule ou avec l’aide de tiers, de protéger cette intégrité ».

Cette extension du droit de parler à titre d’exception au secret professionnel est inopportune en ce qui concerne l’avocat.

L’objectif principal de cette initiative législative était d’obtenir que les faits de violence sur des personnes vulnérables et en particulier entre partenaires fassent systématiquement et inconditionnellement l’objet de poursuites.

En introduisant une nouvelle exception au secret professionnel de l’avocat et en encourageant ce dernier à dénoncer les faits au parquet, on instrumentalise une fois de plus l’avocat en tentant de lui faire jouer un rôle d’auxiliaire de police. Au même titre que le législateur l’avait déjà fait, en 2004, lorsqu’il décidait d’étendre la législation anti-blanchiment aux avocats en leur imposant, dans certaines limites, des obligations de dénonciation et de collaboration avec les autorités.

Lors des travaux préparatoires qui ont amené le Parlement à modifier l’article 458bis du Code pénal, plusieurs sénateurs se sont émus de cette initiative :

- « A force d’étendre le champ d’application de l’article 458bis à de nouvelles catégories, on finira par vider le secret professionnel de toute substance » (déclaration de Madame Faes au Sénat, Doc. parl., Sénat, 2011-2012, 11 janvier 2012, n° 5-30/4, p. 10) ;

- « Un intervenant se déclare réservé par rapport à l’extension de la dérogation au secret professionnel. C’est une piste toujours glissante : il ne faudrait pas en arriver à une situation dans laquelle le secret professionnel n’offre plus de garantie en faveur des personnes qui se confient. Le secret professionnel est un élément tout à fait fondamental du colloque singulier » (déclaration de M. Mahoux, à lire dans les mêmes documents parlementaires) ;

- « Le secret professionnel est la raison d’être du colloque singulier entre le client et le dépositaire du secret. On a tendance à grignoter le secret professionnel sans avoir une approche globale et cohérente de cette notion. Il ne faudrait pas finir par inverser la tendance en prévoyant une sorte d’obligation de délation dans le chef du professionnel qui, s’il ne dénonce pas, se rendrait coupable d’une infraction » (déclaration de Mme Defraigne, à lire dans les mêmes documents parlementaires, p. 11).

Les représentants des Ordres communautaires d’avocats (les représentants des avocats) qui ont été entendus par la Commission de la Justice du Sénat ont également été très réservés quant à cette modification législative (Doc. parl., Sénat, 2011-2012, n° 5-539/4, pp. 29 et s.). C’est pour deux raisons essentielles qu’ils ont estimé inutile de libérer l’avocat de son obligation de secret professionnel :

- le principe du secret professionnel doit être maintenu, car il est érigé en faveur du justiciable et toute dérogation, aussi minime qu’elle soit, pourrait à terme être dangereuse ;

- le détenteur du secret professionnel, lorsqu’il est confronté à un conflit de valeurs (protection de l’intégrité physique d’un justiciable, par exemple), peut déjà prendre des initiatives, seul ou avec l’aide de son bâtonnier, comme en informer les autorités.

En outre, dans de nombreux cas, lorsque l’avocat est informé par un justiciable de faits punissables dont il a été victime, il conseillera à son client de déposer plainte. Le secret professionnel ne joue dans ce cas aucun rôle. L’avocat qui, au nom de son client, dénonce les faits au ministère public n’enfreint pas le secret professionnel auquel il est tenu. Il exécute le mandat judiciaire dont il a la charge.

La modification législative incriminée n’a de sens pour l’avocat que si ce dernier agit de manière contraire aux instructions de son client, ce qui serait inacceptable. Cela aurait pour conséquence de briser la relation de confiance entre l’avocat et son client et de priver la victime du droit fondamental d’être défendu par l’avocat de son choix et de pouvoir se confier à lui.

Même si l’avocat pourrait ne pas être sanctionné sur le plan pénal en cas de dénonciation, il pourrait faire l’objet d’une sanction disciplinaire, dans la mesure où l’obligation au secret constitue une obligation déontologique fondamentale de l’avocat.

Dans un Etat de droit, tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser à un avocat pour l’aider à déterminer ses droits et obligations et le conseiller utilement. Pour que l’avocat puisse informer son client au mieux de sa situation, le justiciable doit pouvoir se confier en toute liberté et tout lui dire. Ceci ne peut se faire que si le client a la garantie que les informations qu’il transmet à son avocat en vue de la détermination de sa situation juridique ne seront pas communiquées à des tiers, fussent-ils des autorités.

C’est le fondement même du secret professionnel.

Le secret professionnel s’étend à toute information obtenue par l’avocat, en cette qualité, dans le cadre du traitement d’un dossier pour son client, que l’information soit apprise du client ou surprise auprès d’un tiers, qu’elle concerne le client ou une autre partie.

L’article 458bis du Code pénal ne comprend pas d’obligation pour l’avocat de révéler les éléments reçues confidentiellement du parquet. L’avocat décide lui-même en âme et conscience s’il renonce ou non à son secret professionnel et ce quelle que soit la volonté de son client. Il pourrait ainsi passer outre son devoir au secret en se fondant sur l’état de nécessité.

En conclusion, les nouvelles dispositions législatives ayant modifié l’article 458bis du Code pénal paraissent inopportunes, inutiles et malvenues, en ce qui concerne l’avocat. Elles s’inscrivent dans une politique populiste de victimisation. Demain, ne risque-t-on pas de voir encore étendre le champ d’application de cette disposition à la maltraitance des personnes âgées, à la délinquance sexuelle ou la violence entre voisins…

Ce genre d’initiative n’apporte rien de neuf à la problématique du secret professionnel de l’avocat si ce n’est qu’elle en trouble la lecture et la compréhension. Un justiciable peu au fait de la déontologie de l’avocat pourrait voir sa confiance avec son conseil altérée s’il devait apprendre que celui-ci peut révéler au parquet les confidences qu’il lui confie.

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